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Il n’y eût jamais eu de poètes si l’on eût eu conscience des problèmes à résoudre. (Personne ne pourrait apprendre à marcher, si pour marcher il fallait se représenter et posséder à l’état d’idées claires tous les éléments du moindre pas.)

Mais nous ne sommes point ici pour faire des vers. Nous essayons, au contraire, de considérer les vers comme impossibles à faire, pour admirer plus lucidement les efforts des poètes, concevoir leur témérité et leurs fatigues, leurs risques et leurs vertus, nous émerveiller de leur instinct.

Je vais donc en peu de mots tenter de vous donner quelque idée de ces difficultés.

Je vous l’ai dit tout à l’heure : le langage est un instrument, un outil, ou plutôt une collection d’outils et d’opérations formée par la pratique et asservie à elle. Il est donc un moyen nécessairement grossier, que chacun utilise, accommode à ses besoins actuels, déforme selon les circonstances, ajuste à sa personne physiologique et à son histoire psychologique.

Vous savez à quelles épreuves nous le soumettons quelquefois. Les valeurs, les sens des mots, les règles de leurs accords, leur émission, leur transcription nous sont à la fois des jouets et des instruments de torture. Sans doute, nous avons quelque égard aux décisions de l’Académie ; et sans doute, le corps enseignant, les examens, la vanité surtout, opposent quelques obstacles à l’exercice de la fantaisie individuelle. Dans les temps modernes, d’ailleurs, la typographie agit très puissamment pour la conservation de ces conventions d’écriture. Par là, les altérations d’origine personnelle sont retardées dans une certaine mesure ; mais les qualités du langage les plus importantes pour le poète, qui sont évidemment ses propriétés ou possibilités musicales, d’une