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était écrit d’une main ferme ; l’autre portait le mot « raseurs », et je me dis : « Je ne suis pas dans le carton de gauche, mais il y a bien des chances pour que ma lettre soit dans l’autre. » Lorsqu’un homme devient notoire, il sent de jour en jour davantage la nécessité de tels cartons.

La conversation de Huysmans était furieusement pittoresque. Il avait le langage le plus vert qui se pût entendre. Je ne saurais véritablement vous reproduire la plupart des propos qu’il m’a tenus. Il était rarement tendre et souvent satirique. Huysmans était le plus nerveux des hommes, au demeurant très fidèle et très serviable. Ses livres singuliers lui attiraient d’étranges visiteurs ou des correspondants bien extraordinaires. Toutes les fois que j’allais le trouver, c’était quelque histoire nouvelle, toujours surprenante.

Je vous dirai maintenant quelques mots du peintre Edgar Degas, que j’ai beaucoup connu et qui se place fort naturellement auprès de Huysmans et de Mallarmé. Vous connaissez l’œuvre de Degas ; elle est aujourd’hui dans les musées. L’homme était la personnalité la plus entière, la plus vive, parfois la plus incommode ; homme d’esprit s’il en fut et d’une intelligence singulière. Degas vivait, quand je l’ai connu, dans une maison de la rue Victor-Massé, aujourd’hui démolie, dont il occupait trois étages. Au premier était son musée particulier. Il avait entassé là des œuvres des peintres qu’il aimait. Il avait de très beaux Delacroix, des Corot, des Ingres, etc. Au-dessus, était son appartement, l’un des appartements les plus vaguement ba-