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de l’action qui tend à développer le type humain par un dressage fondé sur l’analyse de ses facultés et leur excitation raisonnée. On pourrait le caractériser par cette formule d’apparence paradoxale, en disant qu’il consiste dans l’éducation réfléchie des réflexes.

Mais l’esprit, tout esprit qu’il est, peut se traiter par des méthodes analogues. Le fonctionnement de notre esprit peut se considérer comme une suite très irrégulièrement constituée de productions inconscientes et d’interventions de la conscience. Nous sommes mentalement une succession de transformations dont les unes, les conscientes, sont plus complexes que les autres, les inconscientes. Tantôt nous rêvons, tantôt nous veillons : voilà le fait grossement exprimé. Or, tous les progrès positifs, incontestables de la puissance humaine, sont dus à l’utilisation de ces deux modes d’existence psychique, avec accroissement de la conscience, c’est-à-dire : accroissement de l’action volontaire intérieure. Si le civilisé pense d’une manière si différente du primitif, c’est par conséquence de la prédominance des réactions conscientes sur les produits inconscients. Sans doute, ces derniers sont la matière indispensable, et parfois du plus haut prix, de nos pensées, mais leur valeur durable dépend finalement de la conscience.

Le sport intellectuel consiste donc dans le développement et le contrôle de nos actes intérieurs. Comme le virtuose du piano ou du violon arrive à accroître artificiellement, par études sur soi-même, la conscience de ses impulsions et à les posséder distinctement de manière à acquérir une liberté d’ordre supérieur, ainsi faudrait-il, dans l’ordre de l’intellect, acquérir un art de penser, se faire une sorte de psychologie dirigée… C’est la grâce que je vous souhaite.