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milieu est notre éducateur, et un éducateur à la fois sévère et dangereux. Sévère, car les fautes ici se paient plus sérieusement que dans les collèges, et dangereux, car nous n’avons guère conscience de cette action éducatrice, bonne ou mauvaise, du milieu et de nos semblables. Nous apprenons quelque chose à chaque instant ; mais ces leçons immédiates sont en général insensibles. Nous sommes faits, pour une grande part, de tous les événements qui ont eu prise sur nous ; mais nous n’en distinguons pas les effets qui s’accumulent et se combinent en nous. Voyons d’un peu plus près comment cette éducation de hasard nous modifie.

Je distinguerai deux sortes de ces leçons accidentelles de tous les instants : les unes, qui sont les bonnes, ou, du moins, qui pourraient l’être, ce sont les leçons des choses, ce sont les expériences qui nous sont imposées, ce sont les faits qui sont directement observés ou subis par nous-mêmes. Plus cette observation est directe, plus nous percevons directement les choses, ou les événements, ou les êtres, sans traduire aussitôt nos impressions en clichés, en formules toutes faites, et plus ces perceptions ont de la valeur. J’ajoute — ce n’est pas un paradoxe — qu’une perception directe est d’autant plus précieuse que nous savons moins l’exprimer. Plus elle met en défaut les ressources de notre langage, plus elle nous contraint à les développer.

Nous possédons en nous toute une réserve de formules, de dénominations, de locutions toutes prêtes, qui sont de pure imitation, qui nous délivrent du soin de penser, et que nous avons tendance à prendre pour des solutions valables et appropriées.

Nous répondons le plus souvent à ce qui nous frappe par des paroles dont nous ne sommes pas les véritables auteurs. Notre pensée, — ou ce que nous prenons pour notre pensée, — n’est