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point l’esprit se trouve choqué et blessé par ce système dans ses parties les plus sensibles.

Laissons la question du grec et celle du latin, c’est une dérision que l’histoire des vicissitudes de ces enseignements. On remet, ou on retire, selon le flux ou le reflux, un peu plus de grec ou un peu plus de latin dans les programmes. Mais quel grec et quel latin ! La querelle dite des « humanités » n’est que le combat des simulacres de culture. L’impression qu’on éprouve devant l’usage que l’on fait de ces malheureuses langues deux fois mortes est celle d’une étrange falsification. Ce ne sont plus véritablement des langues ni des littératures dont on s’occupe, ces langages semblent n’avoir jamais été parlés que par des fantômes. Ce sont, pour l’immense majorité de ceux qui font semblant de les étudier, des conventions bizarres dont l’unique fonction est de constituer les difficultés d’un examen. Sans doute le latin et le grec ont beaucoup changé depuis un siècle. Actuellement, l’antiquité n’est plus du tout celle de Rollin, pas plus que les chefs-d’œuvre de la sculpture antique ne sont, depuis cent ans, ni l’Apollon du Belvédère ni Le Laocoon ; et sans doute on ne sait plus ni le latin des jésuites ni celui des docteurs en philologie. On sait un latin, ou, plutôt, on fait semblant de savoir un latin, dont la version du baccalauréat est la fin dernière et définitive. J’estime, pour ma part, que mieux vaudrait rendre l’enseignement des langues mortes entièrement facultatif, sans épreuves obligatoires, et dresser seulement quelques élèves à les connaître assez solidement, plutôt que de les contraindre en masse à absorber des parcelles inassimilables de langages qui n’ont jamais existé… Je croirai à l’enseignement des langues antiques quand j’aurai vu, en chemin de fer, un voyageur sur mille tirer de