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part, capable de jouir des acquisitions de toute espèce de la civilisation, de les accroître ; en somme, de coûter le moins possible aux autres et de leur apporter le plus…

Je ne dis pas que cette formule soit définitive ni complète, ni même du tout satisfaisante. Je dis que c’est dans cet ordre de questions qu’il faut, avant toute chose, fixer son esprit quand on veut statuer sur l’enseignement. Il est clair qu’il faut d’abord inculquer aux jeunes gens les conventions fondamentales qui leur permettront les relations avec leurs semblables, et les notions qui, éventuellement, leur donneront les moyens de développer leurs forces ou de parer à leurs faiblesses dans le milieu social. Mais quand on examine ce qui est, on est frappé de voir combien les méthodes en usage, si méthodes il y a, (et s’il ne s’agit pas seulement d’une combinaison de routine, d’une part, et d’expérience ou d’anticipation téméraire, d’autre part), négligent cette réflexion préliminaire que j’estime essentielle. Les préoccupations dominantes semblent être de donner aux enfants une culture disputée entre la tradition dite classique, et le désir naturel de les initier à l’énorme développement des connaissances et de l’activité modernes. Tantôt une tendance l’emporte, tantôt l’autre ; mais jamais, parmi tant d’arguments, jamais ne se produit la question essentielle :

Que veut-on et que faut-il vouloir ?

C’est qu’elle implique une décision, un parti à prendre. Il s’agit de se représenter l’homme de notre temps, et cette idée de l’homme dans le milieu probable où il vivra doit être d’abord établie. Elle doit résulter de l’observation précise, et non du sentiment et des préférences des uns et des autres, — de leurs espoirs politiques, notamment. Rien de plus coupable, de plus pernicieux