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de l’esprit et de sa prochaine valeur, ou de sa valeur probable, qui fait l’objet du problème que je me pose, — et que je ne résoudrai pas.

Non ! Ne vous attendez pas que je puisse même songer à la résoudre ; il n’en est pas question. Et je ne me flatte pas davantage de vous l’énoncer complètement, ni clairement, ni simplement. Plus cette question s’est produite à mon esprit, plus j’ai aperçu sa complexité. Mais, sans chercher à simplifier ce qui est le contraire du simple, à éclaircir ce qui a pour fonction d’éclaircir et qui est en soi si obscur, je veux essayer de vous donner une impression de la question elle-même ; et il me suffira, je l’espère, pour atteindre ce but, de vous représenter la manière dont la vie moderne, la vie de la plupart des hommes, traite, influence, excite ou fatigue leur esprit. Je dis que la vie moderne traite les esprits de telle sorte que l’on peut raisonnablement concevoir de grandes craintes pour la conservation de la valeur dans l’ordre intellectuel.

Les conditions du travail de l’esprit ont, en effet, subi le même sort que tout le reste des choses humaines, c’est-à-dire qu’elles participent de l’intensité, de la hâte, de l’accélération générales des échanges, ainsi que de tous les effets de l’incohérence, de la scintillation fantastique des événements. Je vous avoue que je suis si effrayé de certains symptômes de dégénérescence et d’affaiblissement que je constate, (ou crois constater), dans l’allure générale de la production et de la consommation intellectuelle, que je désespère parfois de l’avenir ! Je m’excuse, (et je m’accuse), de rêver quelquefois que l’intelligence de l’homme, et tout ce par quoi l’homme s’écarte de la ligne animale, pourrait un jour s’affaiblir et l’humanité insensiblement revenir à un état instinctif, redescendre à l’inconstance et à la