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dans toutes les affaires humaines, toutes les cartes ont été brouillées. L’homme se trouve assailli par une quantité de questions auxquelles aucun homme, jusqu’ici, n’avait songé, philosophe ou non, savant ou non ; tout le monde est comme surpris. Tout homme appartient à deux ères.

Dans le passé, on n’avait guère vu, en fait de nouveautés, paraître que des solutions ou des réponses à des problèmes ou à des questions très anciennes, sinon immémoriales. Mais notre nouveauté, à nous, consiste dans l’inédit des questions elles-mêmes, et non point des solutions ; dans les énoncés, et non dans les réponses.

De là cette impression générale d’impuissance et d’incohérence qui domine dans nos esprits, qui les presse, et les met dans cet état anxieux auquel nous ne pouvons ni nous accoutumer ni prévoir un terme. D’un côté, un passé qui n’est pas aboli ni oublié, mais un passé duquel nous ne pouvons à peu près rien tirer qui nous oriente dans le présent et nous donne à imaginer le futur. De l’autre, un avenir sans la moindre figure. Nous sommes, chaque jour, à la merci d’une invention, d’un accident, matériel ou intellectuel.

Il suffit de reprendre une collection de journaux vieille à peine de quelques mois pour voir à quel point les événements renversent en peu de jours les pronostics des hommes les plus compétents. Faut-il oser ajouter ici qu’un homme compétent devient un homme qui se trompe, mais qui se trompe dans toutes les règles ? Je ne puis m’empêcher de songer à ce trust des cerveaux qui fut assemblé en Amérique et qui s’évanouit en discutant, au bout de quelques semaines.

Nous ne voyons de toutes parts, sur l’univers, que tentatives,