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années 1890 à 1935, n’aurait pas senti quelque différence d’allure entre ces deux périodes de sa vie ?

Je ne veux pas vous énumérer tout ce qui a été profondément modifié, altéré, remplacé depuis seulement une trentaine d’années, puisque je vous ai déjà, il y a deux ans, montré l’essentiel du tableau de cette transformation. Je vous dirai seulement, pour résumer ma pensée et m’introduire dans le sujet que je traite aujourd’hui, je vous dirai que l’on pouvait encore, il y a quelque trente ans, examiner les choses de ce monde sous un aspect historique, c’est-à-dire qu’il était alors dans l’esprit de tous, de chercher, dans le présent d’alors, la suite et le développement assez intelligibles des événements qui s’étaient produits dans le passé. La continuité régnait dans les esprits. On trouvait, sans grande difficulté, des modèles, des exemples, des précédents, des causes dans les documents, les souvenirs, les ouvrages historiques. Ceci était général ; et, à part quelques nouveautés dans l’ordre industriel, tout le reste des éléments de la civilisation se raccordait assez facilement au passé. Mais, pendant les trente ou quarante ans que nous venons de vivre, trop de nouveautés se sont introduites, dans tous les domaines. Trop de surprises, trop de créations, trop de destructions, trop de développements considérables et brusques, sont venus interrompre assez brutalement cette tradition intellectuelle, cette continuité dont je vous parlais. Et des problèmes chaque jour plus nombreux, des problèmes parfaitement neufs et inattendus, se sont déclarés de toutes parts, soit dans la politique, soit dans les arts, soit dans les sciences ;