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clame ; et je ressens, par ce moyen naïf qui m’oblige à m’étonner de ce que je vois sans étonnement tous les jours, l’immense différence que la suite des temps a créée entre la vie d’avant-hier et celle d’aujourd’hui. Mais je m’embarrasse bientôt dans mon rôle de cicerone. Songez à tout ce qu’il faudrait savoir pour expliquer à Descartes ou à Napoléon ressuscités notre système actuel d’existence, pour leur faire comprendre comment nous pouvons arriver à vivre dans des conditions si étranges, dans un milieu qu’ils trouveraient certainement assez effrayant, et même hostile. Cet embarras est la mesure du changement intervenu.

Je ne puis ici qu’effleurer l’immense question de ces changements dépassant toute prévision, qui ont profondément modifié le monde et l’ont, en quelques années, rendu méconnaissable aux yeux des observateurs qui avaient assez vécu pour l’avoir vu bien différent. Je vais insister sur le peu de temps qu’il a fallu pour amener de si énormes conséquences, et surtout arrêter un peu vos esprits sur les causes les plus puissantes de cette brusque mutation. Je pense à tous les faits nouveaux, entièrement nouveaux, prodigieusement nouveaux, qui se sont révélés à partir du commencement du siècle dernier.

La science, jusque-là, n’avait poursuivi ses recherches que sur des phénomènes connus sensibles depuis toujours, et immé-