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cadre que l’on vient de proposer pour que se présente à l’esprit la notion de fonction de la Méditerranée, et pour que les auditeurs puissent aisément rattacher à cette notion, (que l’on pourrait appeler constitutionnelle de notre enseignement), les idées et les connaissances produites à leurs attentions pendant une quelconque des leçons. En d’autres termes, quel que soit le sujet considéré, et quel que soit l’esprit qui le considère, la question de lieu ou de milieu doit toujours ici être posée. Qu’il s’agisse de Littérature, de Droit, d’Ethnographie ou de Science des Religions, il importe que le « point de vue du Centre de Nice » s’y insère.

L’HISTOIRE

En ce qui concerne l’Histoire, il serait très désirable que les maîtres s’attachassent moins aux événements, c’est-à-dire aux accidents très visibles, qu’aux développements, lesquels ont une importance bien plus grande pour la formation du capital d’idées et d’habitudes en quoi consiste la civilisation. Développement des techniques, des mythes, des ambitions, des relations ; propagation, ou introduction des nouveautés.

À cet égard, les caractères du bassin méditerranéen, sa configuration peuvent suggérer des problèmes particulièrement intéressants. Par exemple, la coexistence, à diverses époques, d’États ou de Sociétés fort peu éloignés les uns des autres, sinon en contact immédiat, mais prodigieusement différents par la culture, les mœurs, les lois, est un cas bien méditerranéen. (Égypte et Phénicie ; Rome et Carthage ; Louis XIV et les Barbaresques ; Conquête d’Alger, etc.). Cette simultanéité peut servir à introduire la notion d’un équilibre méditerranéen tantôt rompu, tantôt rétabli, notion qui excède le domaine de l’histoire politique, car elle se retrouverait facilement dans d’autres ordres : équilibres plus ou moins stables des croyances, des langages, des influences morales ou esthétiques, voire des monnaies, des valeurs d’échange, etc. Les déplacements et les ruptures de ces équilibres, c’est-à-dire les événements, ne se conçoivent bien que si les équilibres mêmes ont été d’abord considérés.

On ne signale cette notion que pour la commodité qu’elle peut offrir en vue d’une construction méthodique de l’idée d’un Système Méditerranéen. Ce qui coexiste en Méditerranée, à une époque donnée ; ce qui s’y introduit, ce qui en émane, ce sont là des questions essentielles à forme très simple qui permettraient, en toute matière, de retrouver ou de fortifier le principe de notre programme.

Il est inutile de signaler les applications de ce principe à la Littérature, à la