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tant de variétés aberrantes, parurent deux familles privilégiées : la logique et la lucidité de leurs productions les distinguent. Je pense à l’art grec et à celui des Arabes. Ces derniers portent à l’excès du délire limpide la construction des figures par opérations accumulées, dont ils avaient reçu les principes de l’école hellénique de géométrie. L’imagination déductive la plus déliée, accordant merveilleusement la rigueur mathématique à celle des préceptes de l’Islam, qui proscrivent religieusement la recherche de la ressemblance des êtres dans l’ordre plastique, invente l’Arabesque. J’aime cette défense. Elle élimine de l’art l’idolâtrie, le trompe-l’œil, l’anecdote, la crédulité, la simulation de la nature et de la vie, — tout ce qui n’est pas pur, qui n’est point l’acte générateur développant ses ressources intrinsèques, se découvrant ses limites propres, visant à édifier un système de formes uniquement déduit de la nécessité et de la liberté réelles des fonctions qu’il met en œuvre. Dans la musique, l’harmonie imitative n’est-elle pas tenue pour un artifice secondaire et grossier ? Imiter, décrire, représenter l’homme ou les autres choses, ce n’est pas imiter la nature dans son opération : c’est en imiter les produits, ce qui est fort différent. Si l’on veut se faire semblable à ce qui produit, (Natura : productrice), il faut, au contraire, exploiter l’entier domaine de notre sensibilité et de notre action, poursuivre les combinaisons de leurs éléments, dont les objets et les êtres donnés ne sont que des singularités, des cas très particuliers, qui s’opposent à l’ensemble de tout ce que nous pourrions voir et concevoir.

L’Artiste de l’Arabesque, placé devant le vide du mur ou la nudité du panneau, sommé de créer, empêché de recourir au souvenir des choses, couvre cet espace libre, ce désert, d’une