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Toute la science, presque tout l’art du monde ; les voluptés les plus délicates ; les connaissances les plus abstraites, sont comme la production naturelle de ce canton du globe, comme la vigne et le blé, la rose et le jasmin, comme le térébinthe et les arbustes qui distillent les gommes, et la myrrhe et de l’encens. Ici germèrent les croyances les plus puissamment organisées, les philosophies les mieux raisonnées. L’idolâtrie y créa des monstres de magnificence et de beauté ; la rigueur, des chefs-d’œuvre de pureté solide. Quantité de villes insignes y florirent, de Ninive à Venise et d’Athènes à Ispahan…

Cet ORIENT DE L’ESPRIT offre à la pensée enivrée le plus délicieux désordre et le plus riche mélange de noms, de choses imaginables, d’événements et de temps fabuleux ou presque certains, de doctrines, d’œuvres ou d’actes, de personnages et de peuples… Je me place dans l’état entre le rêve et la veille, où ni logique, ni chronologie ne s’opposent aux attractions et aux combinaisons propres des éléments de notre mémoire, qui s’assemblent alors pour le plaisir de l’instant même, et l’effet immédiat, baroque, bizarre ou charmant s’étant produit, se dissocient aussitôt, disparaissent, bien avant que l’objection, la sensation de l’absurde ou de l’arbitraire aient pu se produire.

La cavalerie de Gengis-Khan foule le fatal territoire de l’Éden. Les deux arbres funestes de ce verger font songer de tous les arbres sinistres et remarquables, comme celui qui retint aux cheveux l’Absalon fugitif et rebelle ; et cet autre, où se vint pendre le traître le plus célèbre d’entre les traîtres innombrables de l’Histoire. Et des arbres, passant aux plantes, paraissent le