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Ce nom d’ORIENT ne peut plus raisonnablement signifier qu’un point de l’horizon du lieu. Mais du temps que la cosmographie était plus humaine, que la terre était ce que l’on en voit, et que le soleil, chaque jour, surgissait véritablement de la mer, les gens de nos pays plaçaient dans la direction du lever de ce dieu puissamment visible et générateur de la vision, les domaines de tout ce qu’ils pouvaient concevoir de prodigieux ou d’étrange ou d’original. Le mirage est un phénomène d’optique qui montre plus de choses qu’ils n’en peuvent percevoir aux yeux agrandis de désir. Mais, quant à l’Orient, point de prestige : loin que l’imagination doive se dépenser à inventer ce qu’elle souhaite qui l’excite, tout au contraire : elle défaille, elle renonce à soutenir tout ce que la mémoire immédiate la plus négligée lui propose à représenter. Qui s’oriente vers l’ORIENT se sent tout incapable d’isoler dans l’éblouissement de noms et d’images qu’il en reçoit, une figure nette et une pensée finie.

Qu’il nous suffise, sur la sphère, de tracer un polygone curviligne que bornent les 20e et 55e degrés de longitude Est, et les 40e et 20e degrés de longitude Nord. Cette opération nous détache un assez bel ORIENT. Je sais bien que le développement des affaires de ce temps a fait définir un ORIENT bien plus vaste, à trois degré : un Proche, un Moyen et un Extrême. Mais pourquoi désormais s’arrêter au Japon ? Il y a de l’absurde dans l’expression : Extrême-Orient. Le relatif n’a pas d’extrême. Je m’en tiens donc à mon polygone sphérique, et j’en admire les étonnantes propriétés.