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tement. Je leur retire alors toute importance : je les exclus de tout emploi dans une réflexion suivie, et les remets à mes moments de nonchaloir.

Le seul nom de NATURE, par exemple, m’enivre, et je ne sais ce qu’il veut dire. Oserai-je avouer que le mot PHILOSOPHIE me semble magique, si je l’entends en ignorant, et très loin de songer aux écoles ? Je lui trouve en lui-même un charme : celui d’une personne très belle et très calme, qui change l’amour en sagesse, ou bien la sagesse en amour.

Mais, entre tous ces thèmes du langage, dont je préserve pour mon plaisir la résonnance incertaine et la valeur de pure merveille, le nom d’ORIENT est l’un de ceux qui me sont un trésor.

Je fais ici une remarque capitale. Pour que ce nom produise à l’esprit de quelqu’un, son plein et entier effet, il faut, sur toute chose, n’avoir jamais été dans la contrée mal déterminée qu’il désigne.

Il ne faut la connaître par l’image, le récit, la lecture, et quelques objets, que de la sorte la moins érudite, la plus inexacte, et même la plus confuse. C’est ainsi que l’on se compose une bonne matière de songe. Il y faut un mélange d’espace et de temps, de pseudo-vrai et de faux certain, d’infimes détails et de vues grossièrement vastes.

C’est là l’ORIENT de l’esprit.