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ORIENTEM VERSUS[1]

Je n’aime pas les fantômes d’idées, les pensées toutes perspectives, les termes dont le sens se dérobe devant le regard de l’esprit. Je suis impatient des choses vagues. C’est là une sorte de mal, une irritation particulière, qui se dirige enfin contre la vie, car la vie serait impossible sans à peu près. La variété extrême et accidentelle des circonstances défie toute exactitude ; l’imprévu des événements, qui est la loi la plus certaine et la plus constante du monde, est donc composé par un certain jeu de notre organisation qui permet à l’existence vivante de subsister au milieu des hasards et à l’existence pensante de se dédire et de se contredire.

Mais mon humeur assez rigoureuse se relâche pourtant, et se laisse séduire à divers mots, tout imprécis et inépuisables qu’ils sont, qui me ravissent jusqu’à l’illusion d’une richesse et d’une profondeur si précieuses que je me garde d’en refuser l’enchan-

  1. Cet essai a paru dans la revue Verve (No 3, Été 1938).