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l’âme pour se réduire à caresser de l’œil, les vases, les laques, les ouvrages d’ivoire, de bronze et de jade qu’elle a produits. Il y a quelque chose plus précieuse encore, dont ces chefs-d’œuvre ne sont que les démonstrations, les divertissements et les reliques : c’est la vie.

M. Cheng, de qui je me permets de présenter et de recommander le livre au public, se propose de nous faire aimer ce que nous avons si longtemps ignoré, méprisé et raillé avec tant de naïve assurance.

Ce lettré, fils de lettrés, descendant d’une antique famille, qui compte parmi ses ancêtres le vénérable et illustre Lao-Tseu, est venu parmi nous s’instruire aux sciences naturelles. Il a écrit en français son ouvrage.

Il ne prétend à rien de moins qu’à nous faire pénétrer dans la vivante profondeur de cet abîme d’hommes innombrables, dont nous ne savons jusqu’ici que ce que nous en disent des observateurs trop semblables à nous.

L’ambition de notre auteur est singulière. Il veut toucher notre cœur. Ce n’est point par le dehors qu’il se flatte de nous éclairer la Chine mais il a entendu nous y intéresser intimement et il y place une douce lumière intérieure qui nous fait entrevoir par transparence tout l’organisme de la famille chinoise, qui nous en montre les mœurs, les vertus, les grandeurs et les misères, la structure intime, la force végétale infinie.

Il s’y est pris de la sorte la plus originale, la plus délicate et la plus habile : il a choisi sa propre mère, pour personnage essentiel. Cette dame au grand cœur est une figure charmante. Soit qu’elle conte la douloureuse histoire du supplice infligé à ses pieds, ou les incidents de sa vie dans la maison ; ou bien