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le psychique en état : une guerre longue et générale bouleverse dans chaque tête l’idée qu’elle s’était faite du monde et du lendemain.

C’est que la paix n’est qu’un système de conventions, un équilibre de symboles, un édifice essentiellement fiduciaire. La menace y tient lieu de l’acte ; le papier y tient lieu de l’or ; l’or y tient lieu de tout. Le crédit, les probabilités, les habitudes, les souvenirs et les paroles, sont alors des éléments immédiats du jeu politique, car toute politique est spéculation, opération plus ou moins réelle sur des valeurs fictives. Toute politique se réduit à faire de l’escompte ou du report de puissance. La guerre liquide enfin ces positions, exige la présence et le versement des forces vraies, éprouve les cœurs, ouvre les coffres, oppose le fait à l’idée, les résultats aux renommées, l’accident aux prévisions, la mort aux phrases. Elle tend à faire dépendre le sort ultérieur des choses de la réalité toute brute de l’instant.

La dernière guerre a donc été féconde en révélations. On a vu les plus hautaines et les plus riches nations du globe, réduites à une sorte de mendicité, appelant les plus faibles à l’aide, sollicitant des bras, du pain, des secours de toute nature, incapables de soutenir, à soi seules, la suprême partie où leur puissance même les avait engagées. Bien des yeux se sont ouverts, bien des réflexions et des comparaisons se sont instituées.

Mais ce n’est point chez nous que se développent les suites les plus importantes de ces grands événements. Ce ne sont pas du tout les peuples qui furent le plus directement mêlés ou opposés dans le conflit qui s’en trouvent aujourd’hui le plus troublés et transformés. Les effets de la guerre s’élargissent hors d’Europe, et il n’y a point de doute que nous verrons revenir