Page:Valéry - Œuvres de Paul Valery, Vol 10, 1938.djvu/116

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

totale et le développement des côtes ; et sur les côtes mêmes entre les falaises, les roches, les plages qui bordent de calcaire, de granit ou de sables le rivage de la France sur trois mers. La France est le seul pays d’Europe qui possède trois fronts de mer bien distincts. Quant aux ressources de surface ou de fond, on peut dire que peu de choses essentielles à la vie manquent à la France. Il s’y trouve beaucoup de terres à céréales ; d’illustres coteaux pour la vigne ; l’excellente pierre à bâtir et le fer y abondent. Il y a moins de charbon qu’il n’en faudrait de nos jours. D’autre part, l’ère moderne a créé des besoins nouveaux et intenses, quoique accidentels et peut-être éphémères, auxquels ce pays ne peut subvenir ou suffire par soi seul.

Sur cette terre vit un peuple dont l’histoire consiste principalement dans le travail incessant de sa propre formation. Qu’il s’agisse de sa constitution ethnique, qu’il s’agisse de sa constitution psychologique, ce peuple est plus que tout autre une création de son domaine et l’œuvre séculaire d’une certaine donnée géographique. Il n’est point de peuple qui ait des relations plus étroites avec le lieu du monde qu’il habite. On ne peut l’imaginer se déplaçant en masse, émigrant en bloc sous d’autres cieux, se détachant de la figure de la France. On ne peut concevoir ce peuple français en faisant abstraction de son lieu, auquel il doit non seulement les caractères ordinaires d’adaptation que tous les peuples reçoivent à la longue des sites qu’ils habitent, mais encore ce que l’on pourrait nommer sa formule de constitution, et sa loi propre de conservation comme entité nationale.