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brève et la plus énergique à une situation critique ressentie par tous, risque d’être rendue inutile et comme dissoute par l’heureux effet de la mission qu’elle s’est donnée. Certains dictateurs ont su se démettre au point juste. D’autres ont essayé de desserrer l’étreinte de leur pouvoir, et de revenir par degrés au régime le plus modéré. C’est là une opération des plus délicates. D’autres encore cherchent à s’affermir par tous moyens. Ils trouveront, en dehors des mesures coercitives directes et des surveillances constantes, des ressources assez précieuses, dans le dressage des jeunes gens et dans l’éclat qu’ils pourront donner aux succès et aux avantages sensibles du système. Ils mettront dans cette tâche tout l’esprit et toute l’énergie par lesquels ils se sont imposés. Mais cette politique peut être insuffisante ou ne promettre de résultats que dans un avenir trop éloigné. Il arrive alors que l’on songe à un retour artificiel aux conditions initiales et à organiser l’angoisse et les mêmes périls à la faveur desquels la dictature fut créée. Des images de guerre peuvent alors séduire.

Nous avons vu, en quelques années, sept monarchies, (je crois), disparaître ; un nombre presque égal de dictatures s’instituer ; et dans plusieurs nations dont le régime n’a pas changé, régime assez tourmenté, tant par les faits que par les réflexions et comparaisons que ces changements chez les voisins excitaient dans les esprits. Il est remarquable que la dictature soit à présent contagieuse, comme le fut jadis la liberté.

Le monde moderne n’ayant su jusqu’ici ajuster son âme, sa mémoire, ses habitudes sociales, ni ses conventions de politique