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souvenir d’un clair jour de ma vie. Ô douce métamorphose ! Ce temple délicat, nul ne le sait, est l’image mathématique d’une fille de Corinthe, que j’ai heureusement aimée. Il en reproduit fidèlement les proportions particulières. Il vit pour moi ! Il me rend ce que je lui ai donné…

— C’est donc pourquoi il est d’une grâce inexplicable, lui dis-je. On y sent bien la présence d’une personne, la première fleur d’une femme, l’harmonie d’un être charmant. Il éveille vaguement un souvenir qui ne peut pas arriver à son terme ; et ce commencement d’une image dont tu possèdes la perfection, ne laisse pas de poindre l’âme et de la confondre. Sais-tu bien que si je m’abandonne à ma pensée, je vais le comparer à quelque chant nuptial mêlé de flûtes, que je sens naître de moi-même.

Eupalinos me regarda avec une amitié plus précise et plus tendre.

— Oh ! dit-il, que tu es fait pour me comprendre ! Nul plus que toi ne s’est approché de mon démon. Je voudrais bien te confier tous mes secrets ; mais, des uns, je ne saurais moi-même te parler convenablement, tant ils se dérobent au langage ; les autres risqueraient fort de t’ennuyer, car ils se réfèrent aux procédés et aux connaissances les plus spéciales