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élastique. Elle place avec symétrie sur ce miroir de ses forces, ses appuis alternés ; le talon versant le corps vers la pointe, l’autre pied passant et recevant ce corps, et le reversant à l’avance ; et ainsi, et ainsi ; cependant que la cime adorable de sa tête trace dans l’éternel présent, le front d’une vague ondulée.

Comme le sol est en quelque sorte absolu, étant dégagé soigneusement de toutes causes d’arythmie et d’incertitude, cette marche monumentale qui n’a qu’elle-même pour but, et dont toutes les impuretés variables ont disparu, devient un modèle universel.

Regarde quelle beauté, quelle pleine sécurité de l’âme résulte de cette longueur de ses nobles enjambées. Cette amplitude de ses pas est accordée avec leur nombre, lequel émane directement de la musique. Mais nombre et longueur sont d’autre part secrètement en harmonie avec la stature…

SOCRATE

Tu parles si bien de ces choses, docte Éryximaque, que je ne puis m’empêcher de voir selon ta pensée. Je contemple cette femme qui marche et qui me donne le sentiment de l’immobile. Je ne m’attache qu’à l’égalité de ces mesures…