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Or, il ne faut pas que les dieux demeurent sans toit, et les âmes sans spectacles. Il ne faut pas que les masses du marbre demeurent mortellement dans la terre, constituant une nuit solide ; et que les cèdres et les cyprès se contentent de finir par la flamme ou par la pourriture, quand ils peuvent se changer en des poutres odorantes, et en des meubles éblouissants. Mais il faut encore moins que l’or des riches hommes paresseusement dorme son lourd sommeil dans les urnes et dans les ténèbres du trésor. Ce métal si pesant, quand il s’associe d’une fantaisie, prend les vertus les plus actives de l’esprit. Il en a la nature inquiète. Son essence est de fuir. Il se change en toutes choses, sans être changé lui-même. Il soulève les blocs de pierre, perce les monts, détourne les fleuves, ouvre les portes des forteresses et les cœurs les plus secrets ; il enchaîne les hommes ; il habille, il déshabille les femmes, avec une promptitude qui tient du miracle. C’est bien le plus abstrait agent qui soit après la pensée ; mais encore elle n’échange et n’enveloppe que des images, cependant qu’il excite et qu’il favorise la transmutation de toutes les choses réelles, les unes dans les autres ; lui, demeurant incorruptible, et traversant pur toutes les mains.