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cherchent toujours à rapprocher leurs esprits de cet état… Mais le grand Formateur agissait au contraire. Il était ennemi des similitudes, et de ces identités cachées qu’il nous enchante de surprendre. Il organisait l’inégalité. Mettant les mains à la pâte du monde, il en a trié les atomes. Il a divisé le chaud d’avec le froid, et le soir d’avec le matin ; refoulé presque tout le feu dans les cavités souterraines, suspendu les grappes de glace aux treilles mêmes de l’aurore, sous les voussures de l’éternel Éther. Par lui, l’étendue fut distinguée du mouvement, la nuit le fut du jour ; et dans sa fureur de tout disjoindre, il fendit les premiers animaux qu’il venait de dissocier des plantes, en mâle et en femelle. Ayant même enfin démêlé ce qui était le plus mixte dans le trouble originel, — la matière avec l’esprit, — il a hissé au suprême de l’empyrée, à la cime inaccessible de l’Histoire, ces masses mystérieuses, dont la descente inéluctable et muette jusqu’au fond dernier de l’abîme, engendre et mesure le Temps. Il a exprimé de la fange, les mers étincelantes et les eaux pures, exondant les montagnes, et distribuant en belles îles ce qui demeurait de concret. C’est ainsi qu’il fit toutes choses, et, d’un reste de fange, les humains.