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pas de les posséder. Cette œuvre découle du plus intime de ta vie, et cependant elle ne se confond pas avec toi. Si elle était douée de pensée, elle pressentirait ton existence, qu’elle ne parviendrait jamais à établir, ni à concevoir clairement. Tu lui serais un Dieu…

Voyons donc ce grand acte de construire. Observe, Phèdre, que le Démiurge, quand il s’est mis à faire le monde, s’est attaqué à la confusion du Chaos. Tout l’informe était devant lui. Et il n’y avait pas une poignée de matière qu’il pût prendre de sa main dans cet abîme, qui ne fût infiniment impure et composée d’une infinité de substances.

Il s’est attaqué bravement à cet affreux mélange du sec et de l’humide, du dur avec le mol, de la lumière avec les ténèbres, qui constituait ce chaos, dont le désordre pénétrait jusque dans les plus petites parties. Il a débrouillé cette boue vaguement radieuse, où il n’y avait pas une particule de pure, et en qui toutes les énergies étaient délayées, tellement que le passé et l’avenir, l’accident et la substance, le durable et l’éphémère, le voisinage et l’éloignement, le mouvement et le repos, le léger avec le grave, s’y trouvaient aussi confondus que le vin peut l’être avec l’eau, quand ils composent une coupe. Nos savants