Page:Valéry - Œuvres de Paul Valery, Vol 1, 1931.djvu/176

Cette page n’a pas encore été corrigée

comme lui, mais sensibles à leurs pensées de poissons, et gouvernant vers leurs destins, selon leurs caprices ; et puis, leur maîtrises vivante au milieu des tempêtes ! On eût dit qu’il sentait par lui-même, leurs formes favorables conduire, de la tête vers la queue, par le chemin le plus rapide, les eaux qui se trouvent devant eux, et qu’il s’agit, pour avancer, de remettre derrière soi… C’est une chose admirable, ô Socrate, que d’une part, si nul obstacle n’empêche ta course, la course est tout à fait impossible ; tous les efforts que tu enfantes se détruisent l’un l’autre, et tu ne peux pousser d’un côté, sans te repousser de l’autre, avec une égale puissance. Mais, d’autre part, l’obstacle nécessaire étant réalisé, il travaille contre toi ; il boit tes fatigues, et te concède parcimonieusement l’espace dans le temps. C’est ici que le choix d’une forme est l’acte délicat de l’artiste : car c’est à la forme de prendre à l’obstacle ce qu’il lui faut pour avancer, mais de n’en prendre que ce qui empêche le moins le mobile.

Socrate

Mais ne peut-on copier le marsouin, ou le thon eux-mêmes, et piller directement la nature ?