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pouvoirs, en cette matière, se réduisent à disposer de formes et de forces. Tridon me disait qu’il imaginait son vaisseau suspendu au bras d’une grande balance, dont l’autre bras supportait une masse d’eau… — Mais je ne sais trop ce qu’il entendait par là… Mais encore, la mer agitée ne se contente pas de cet équilibre. Tout se complique avec le mouvement. Il cherchait donc quelle soit la forme d’une coque, dont la carène demeure à peu près la même, que le navire roule d’un bord à l’autre, — ou qu’il danse, d’autre façon, autour de quelque centre… Il traçait d’étranges figures qui lui rendaient visibles, à lui, les secrètes propriétés de son flotteur ; mais, moi, je n’y reconnaissais rien d’un navire.

Et d’autres fois, il étudiait la marche et les allures ; espérant et désespérant d’imiter la perfection des poissons les plus rapides. Ceux qui nagent facilement en surface, et se jouent dans l’écume entre deux plongées, l’intéressaient entre tous. Il parlait, avec l’abondance d’un poète, des thons et des marsouins, au milieu des bonds et des libertés desquels il avait si longtemps vécu. Il chantait leurs grands corps polis comme des armes ; leurs museaux comme écrasés par la masse de l’eau opposées à leur marche ; leurs ailerons et leurs nageoires, rigides comme le fer, et coupants