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fait qu’il est à jamais disparu. Attends donc, et dans quelques mots, je vais trouver ce que je ne cherchais pas.

Phèdre

Nous sommes bien toujours sur le rivage de la mer ?

Socrate

Nécessairement. Cette frontière de Neptune et de la Terre, toujours disputée par les divinités rivales, est le lieu du commerce le plus funèbre, le plus incessant. Ce que rejette la mer, ce que la terre ne sait pas retenir, les épaves énigmatiques ; les membres affreux des navires disloqués, aussi noirs que le charbon, et tels que si les eaux salées les avaient brûlés ; les charognes horriblement becquetées, et toutes lissées par les flots ; les herbages élastiques arrachés par les tempêtes aux pâtis transparents des troupeaux de Protée ; les monstres dégonflés, aux couleurs froides et mourantes ; toutes les choses enfin que la fortune livre aux fureurs littorales, et au litige sans issue de l’onde avec le rivage, sont là portées et déportées ; élevées, rabaissées ; prises, perdues, reprises selon l’heure et le jour ; tristes témoins de l’indifférence