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semblent courir depuis les rives de Libye, transportant leurs sommets étincelants, leurs creuses vallées, leur implacable énergie, de l’Afrique jusqu’à l’Attique, sur l’immense étendue liquide. Elles trouvent enfin leur obstacle, et le socle même de l’Hellas ; elles se rompent sur cette base sous-marine ; elles reculent en désordre vers l’origine de leur durée. Les vagues, à ce point, détruites et confondues, mais ressaisies par celles qui les suivent, on dirait que les figures de l’onde se combattent. Les gouttes innombrables brisent leurs chaînes, une poudre étincelante s’élève. On voit de blancs cavaliers sauter par-delà eux-mêmes, et tous ces envoyés de la mer inépuisable périr et reparaître, avec un tumulte monotone, sur une pente molle et presque imperceptible, que tout leur emportement, quoique venu de l’extrême horizon, jamais toutefois ne saurait gravir… Ici, l’écume, jetée au plus loin par le flot le plus haut, forme des tas jaunâtres et irisés qui crèvent au soleil, ou que le vent chasse et disperse, le plus drôlement du monde, comme bêtes épouvantées par le bond brusque de la mer. Mais moi, je jouissais de l’écume naissante et vierge… Elle est d’une douceur étrange, au contact. C’est un lait tout tiède, et aéré, qui vient avec une violence voluptueuse, inonde les pieds nus,