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nourrissent de ciguë. Mais véritablement, la parole peut construire, comme elle peut créer, comme elle peut corrompre… Un autel qu’on lui dresserait, devrait présenter au jour trois faces différemment ornées ; et si j’avais à la figurer sous les apparences humaines, je lui donnerais trois visages : l’un, presque informe, signifierait la parole commune : celle qui meurt à peine née ; et qui se perd sur-le-champ, par l’usage même. Aussitôt, elle est transformée dans le pain que l’on demande, dans le chemin que l’on vous indique, dans la colère de celui que frappe l’injure… Mais le second visage jetterait par sa bouche arrondie, un flot cristallin d’eau éternelle : il aurait les traits les plus nobles, l’œil grand et enthousiaste ; le col puissant et gonflé, que les statuaires donnent aux Muses.

Phèdre

Et le troisième ?

Socrate

Par Apollon, comment figurer celui-ci ?… Il y faudrait je ne sais quelle physionomie inhumaine, avec des traits de cette rigueur et de cette subtilité qu’on dit que les Égyptiens ont su mettre sur le visage de leurs dieux.