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— Pourquoi ? D’où tires-tu cette force cruelle ?

— C’est qu’il m’importe sur toute chose, d’obtenir de ce qui va être, qu’il satisfasse, avec toute la vigueur de sa nouveauté, aux exigences raisonnables de ce qui a été. Comment ne pas être obscur ?… Écoute : j’ai vu, un jour, telle touffe de roses, et j’en ai fait une cire. Cette cire achevée, je l’ai mise dans le sable. Le Temps rapide réduit les roses à rien ; et le feu rend promptement la cire à sa nature informe. Mais la cire, ayant fui de son moule fomenté et perdue, la liqueur éblouissante du bronze vient épouser dans le sable durci, la creuse identité du moindre pétale…

— J’entends ! Eupalinos. Cette énigme m’est transparente ; le mythe est facile à traduire.

Ces roses qui furent fraîches, et qui périssent sous tes yeux, ne sont-elles pas toutes choses, et la vie mouvante elle-même ? — Cette cire que tu as modelée, y imposant tes doigts habiles, l’œil butinant sur les corolles et revenant chargé de fleurs vers ton ouvrage. — n’est-ce pas là une figure de ton labeur quotidien, riche du commerce de tes actes avec tes observations nouvelles ? — Le feu, c’est le Temps lui-même, qui abolirait entièrement, ou dissiperait dans le vaste monde, et les roses réelles et tes roses