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— Et toi, lui dis-je, tu le conçois ?

— Oui et non. Oui, comme rêve. Non, comme science.

— Tires-tu quelque secours de ces pensées ?

— Oui, comme aiguillon. Oui, comme jugement. Oui, comme peines… Mais je ne suis pas en possession d’enchaîner, comme il le faudrait, une analyse à une extase. Je m’approche parfois de ce pouvoir si précieux… Une fois, je fus infiniment près de le saisir, mais seulement comme on possède, pendant le sommeil, un objet aimé. Je ne puis te parler que des approches d’une si grande chose. Quand elle s’annonce, cher Phèdre, je diffère déjà de moi-même, autant qu’une corde tendue diffère d’elle-même qui était lâche et sinueuse. Je suis tout autre que je ne suis. Tout est clair, et semble facile. Alors mes combinaisons se poursuivent et se conservent dans ma lumière. Je sens mon besoin de beauté, égal à mes ressources inconnues, engendrer à soi seul des figures qui le contentent. Je désire de tout mon être… Les puissances accourent. Tu sais bien que les puissances de l’âme procèdent étrangement de la nuit… Elles s’avancent, par illusion, jusqu’au réel. Je les appelle, je les adjure par mon silence… Les voici, toutes chargées de clarté et d’erreur. Le vrai, le faux,