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Tu le porteras sur la table d’ardoise sous les cerisiers. N’oublie pas le flacon de cognac.

Me restes-tu quelques jours, Yves ?

— Jusqu’à demain si tu peux me loger. J’ai un mois de congé, je vais en Bretagne chez ma sœur et je repasserai par ici avant de retourner à mon poste. Je suis, tu le sais, Général de Division.

— Oui, Moi j’ai donné ma démission, je voulais vivre auprès de ma chère tante, profiter un peu de la vie de famille. .. et Dieu m’a repris celle que j’aimais tant !

L’officier mit sa main sur le bras de son ami :

— Je sais, moi, j’ai eu ma part de soucis, j’ai perdu trois fils tués... et à présent j’achève mes jours tout seul. Ma femme, une Algérienne, m’a quitté depuis longtemps.

Il se tut, cessa une minute de manger, puis ii but d’un trait «n grand verre de vin du Layon et reprit :

< Je vais maintenant, si tu veux, t’expliquer mon but.

— Passons au jardin, le café nous y précède. J’ai encore quelques bons cigares.

Les deux camarades traversèrent le salon pour aller dans le parterre que de beaux arbres ombrageaient.

Jeanneton les précédait, chargée du plateau d’où s’échappait un délicieux parfum d’excellent café.

Les camarades prirent place dans des fauteuils d’osier et pendant que le maître de maison servait son ami, celui-ci commença :

— Tu te rappelles que le roi Louis-Philippe avait chargé l’Etat-Major de notre armée d’Afrique, de faire un tableau historique et géographique de la campagne, d’y joindre des vues dessinées au crayon, en un mot de rédiger un document pour l’avenir. Or, j’ai été prié d’écrire la partie la plus intéressante, c’est-à-dire celle qui comprend notre arrivée en Algérie jusqu’après la prise de Constantine [1] Pour accomplir un pareil travail, il me faut beaucoup de temps et surtout de l’aide. Nul mieux que toi ne peut me soutenir. Tu sais voir, apprécier, juger, tu connais parfaitement l’arabe, tu as un album de vues croquées sur place, veux-tu être mon collaborateur ? Je sais que tu en est capable.

— Tu m’effraies, c’est un travail passionnant, mais il exige une grande érudition, un talent de style impeccable et une mémoire fidèle.

— Tu possèdes tout cela, j’ai lu assez souvent tes rapports pour le savoir. Tu as ton temps libre, ici, dans ce lieu paisible, tu peux évoquer le passé glorieux de nos armes. Je

  1. Lire : Sœur Constantine d’Algérie.