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VI

OÙ L’ON PARLE DE TROIS VIEILLES DEMOISELLES

La famille d’Allencourt avait subi la dispersion de l’époque, néfaste des révolutions. Le chef de famille, père de neuf enfants, s’était bravement battu sous Louis XVI, ses fils avaient disparu jetés aux hasards des batailles. Le dernier, né plus tard, avait emporté la vie de sa mère, tandis que son père, parti en Amérique avec La Fayette, n’en était jamais revenu. Ce dernier rejeton d’une illustre lignée, élevé par sa marraine, une digne Vendéenne, avait pris les armes dès l’âge de quatorze ans pour lutter en Vendée. Il s’était marié, quand la paix enfin rétablie permettait une vie normale. Biessé neuf fois, brave toujours, mais bien usé, il avait eu deux filles, élevées à l’école des filles d’officiers. Après la mort de leurs parents, elles avaient continué à vivre toutes les deux dans le petit bien du Frêne qu’elles possédaient près d’Angers. L’aînée, Agathe, avait, lorsqu’elle croisa René Semtel sur le chemin, trente-sept ans. Clotilde était de sept ans plus jeune. Elles vivaient modestement, honorablement, tendrement unies. Elles prenaient de l’existence humaine ses devoirs d’abord et les quelques distractions qu’offrent les beaux jours, les bons amis et la satisfaction d’être soi, de s’estimer, de sentir qu’on ne gâche pas son temps sur la terre. Leur petite fortune, la révolution ayant ruiné leur famille, les obligeait à l’économie qu’elles pratiquaient avec autant d’intelligence que de gaîté, s’arrangeant des privations avec des sourires, s’aimant et s’entendant de tout leur cœur. Elles avaient trouvé des offres d’union, mais aucun parti n’avait semblé convenir à la délicatesse de leur esprit et de leur conscience. Agathe ne voulait plus entendre parler mariage, Clotilde moins décidée, pensait encore à la joie d’avoir une petite famille à aimer. La rencontre fortuite de René Semtel avait été comme l’aube d’un rayon dans cette âme vierge. Elle s’était amusée à planter dans son jardin les noyaux des plus belles pêches offertes par le défenseur de la route. Puis elle avait renvoyé le panier où étaient les fruits avec la carte commune des deux soeurs : « Agathe et Clotilde d’Allencourt ». Et au-dessus, elle avait écrit : Merci ! merci. Le premier merci s’adressait au défenseur, le second au donateur des « admirables jaunes ».

Mlle Nicole à la vue de ce carton, avait expliqué à son neveu :