Page:Va toujours.djvu/16

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

parce qu’elle ignorait l’art de tenir une plume. Quand la lettre pliée comme il convenait alors, sans enveloppe, cachetée d’un pain à cacheter, l’écrivaine avait demandé à la digne servante :

— Quelle adresse dois-je mettre, Nanette ?

— Ah ! ma foi, notre Demoiselle, tout le monde a pas besoin de savoir à qui que j’écris...

A neuf heures, après la prière récitée par Nicole, Denise allumait les bougies des maîtres, les chandelles de suif pour elle et sa sœur, elle éteignait la lampe et tous les quatre montaient se coucher. Ce soir-là, tous pensèrent au chemineau qui était sur la paille dans l’écurie.

René avait gardé l’habitude du lever matinal, sa tante aussi, la laitière en venant sonner à la porte de la rue dès six heures, trouvait tout le monde levé. Elle distribuait ses pintes de lait et partait vite en roulant sa brouette. Denise faisait le café, grillait le pain, on déjeunait et chacun s’en allait à ce qu’il devait faire. Tante Nicole partait à la messe à l’église de la Trinité. René allait au jardin s’occuper d’un travail de saison, Nanette se mettait à coudre ou à repasser. Denise allait au marché et les heures se déroulaient sans heurt. Le dîner de midi les rassemblait devant un menu frugal et sain, en respectant l’abstinence du vendredi et du samedi, selon la loi de l’église. Après, les occupations reprenaient leurs cours d’après le goût et le devoir de chacun. Le lendemain de l’incident du Champ des Martyrs, dès l’aube, le bienveillant Semtel se rendit à l’écurie d’où aucun bruit ne venait. Il tira le verrou et entra. Son cheval restait presque toujours à la campagne, le dormeur n’avait eu aucun dérangement, il reposait encore en toute confiance. Son visage calme, maigre, jeune ne reflétait pas le crime. René l’appela : il ouvrit des yeux bleus, limpides, un peu effarés, puis il se dressa.

— Ah ! Monsieur, comme j’ai bien dormi chez vous. Depuis longtemps, je n’ai pas eu pareille nuit...

— C’est bon, on va vous apporter de la soupe. Après, mon domestique vous conduira aux bains du pont, sur la Maine et vous mènera acheter ce qui vous manque.

— Oh ! Monsieur, comment ferais-je pour vous prouver ma reconnaissance. Je voudrais tant vous servir, être votre valet.

— Ce n’est pas possible, mais je vais essayer de vous trouver une place. Vous allez me jurer d’être un honnête homme.

— Je le jure et de toute la sincérité de mon coeur, je le jure au nom de ma sœur et au nom de vous, Monsieur, qui m’avez sauvé.