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fort de tendresse que lui offrait si largement sa tante Nicole, sa seconde mère.

Ils vivaient ainsi tous les deux avec les servantes fidèles : Nanette et Denise secondées par leur frère Pascal Joubert qui aidait à l’entretien du logis et du jardin. Chez eux aucun événement, aucune querelle même légère, l’union des jours qui passent sans presque les vieillir, les habitudes ne changeant pas.

Les parents et amis se réunissaient souvent pour les repas joyeux où, en vrais angevins, on savait apprécier les bons crûs des coteaux de la Loire, de Saumur et du Layon. Le seul incident au milieu de cette vie tranquille fut la rencontre du chemineau sur la route du champ des Martyrs. Rencontre qui allait avoir une si grande importance pour René.

III

LE DOUX FOYER

Quand Denise vint ouvrir, ce soir-là, au coup de sonnette de son maître qu’elle connaissait bien, elle resta stupéfaite en le voyant suivi d’un individu de si lamentable aspect,

— Pour Dieu, Monsieur, que nous amenez-vous là ? (Elle disait Mon Sieur selon l’usage de l’époque).

— Un homme qui ne sait où aller coucher, Denise. Ne t’en occupe pas, il a soupé, je vais lui faire une bonne couchette de paille dans l’écurie.

Denise branla la tête ce qui agita les brides de sa coiffe.

— Et s’il allait mettre le feu...

— Je n’ai rien pour l’allumer, ma bonne dame, protesta le chemineau, je suis mort de fatigue, ayez pitié de moi aussi, vous.

La vieille fille s’adoucît, et rentra dans sa cuisine tandis que son maître jetait dans un box vide une grosse botte de paille, prenait dans la sellerie une couverture de cheval et montrant ce gîte à son protégé :

— Vous dormirez à merveille ici. Au camp, on avait moins, restez tranquille. Je viendrai demain matin m’occuper de vous.

— Ah ! Monsieur, de tout mon cœur, merci.

René sortit, ferma la porte, fit glisser le verrou extérieur dans sa gaine et en un instant fut à la cuisine où il entra en riant. Mlle Nicole était assise près du feu. Le couvert était mis dans la salle, mais la vieille fille se chauffait les soirs tout en causant avec ses servantes, ses amies de jeunesse.