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reux, d’un choc sympathique d’idées, de vues, de souvenirs, excite le cerveau, puis, par le cerveau, l’estomac, et il n’est pas de cuisine pitoyable, de vin frelaté, qui résistent aux convulsions bienfaisantes du fou rire. Toute ma vie, j’ai choisi pour amis des gens gais à force d’esprit ou spirituels à force de gaieté ; aussi, nous advint-il plus d’une fois, après un fin et gai dîner fait à six heures du soir, de mourir de faim à minuit. Tout médecin doit se préoccuper de la gaieté d’esprit du client qui le consulte, tout général d’armée de la gaieté d’esprit des régiments qu’il commande, tout chef d’État de la gaieté d’esprit des peuples qu’il est appelé à gouverner.

La gaieté, c’est un paroxysme naturel de l’état de santé, c’est le cœur heureux de battre, c’est l’esprit heureux de penser, c’est tout notre système nerveux extérieur ou caché dans les profondeurs de notre organisation, en mouvement, en bien-être et en fête. L’animal n’est gai que par des appétits charnels ; l’homme seul est gai par le cœur et par l’esprit.

J’insiste ici sur le devoir du médecin d’écouter tout ce que lui racontent les gens du monde qui le consultent, et voici pourquoi.

On ne devient médecin qu’en vivant un grand nombre d’années dans les hôpitaux. Mais chez les clients des hôpitaux, les maladies sont le plus souvent nettement dessinées, très-accentuées et même déjà parvenues à leurs derniers périodes, lorsqu’on voit le malade pour la première fois ; on n’obtient pas un lit d’hôpital pour des vapeurs.

Chez les gens du monde, au contraire, pleins de soins