Page:Véron - Mémoires d’un bourgeois de Paris, tome 1.djvu/68

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans son cœur et dans son existence ; peut-être courut-il trop les aventures, et sa santé et sa jeunesse y ont péri.

Lorsque Royer-Collard fit à l’École de médecine, sur l’hygiène, sa première leçon, une émeute, organisée par l’opposition d’alors, chercha à troubler, à intimider le professeur ; on n’y réussit pas ; mais lorsque Royer-Collard, entouré seulement de quelques amis, sortit de l’École, une bande de deux cents jeunes gens environ le poursuivit de huées et d’injures. Royer-Collard avait refusé tout appui, tout secours de l’autorité.

Arrivé au pont des Arts, il dépose dix francs sur le guichet du receveur, et, se retournant alors vers ces deux cents jeunes gens, si braves contre un seul : « Vous pouvez, leur dit-il, continuer à me suivre, j’ai payé pour vous. » Ce spirituel et dédaigneux à-propos déconcerta cette foule menaçante, et Royer-Collard trouva pour ses leçons d’hygiène un nombreux auditoire, qui poussa la justice jusqu’aux applaudissements.

Il est un nom en médecine d’une certaine célébrité : je veux parler d’un médecin qui, presque toute sa vie, se fit appeler le vieux Portal ; j’ai suivi quelque temps ses leçons d’anatomie au jardin des Plantes, et j’ai pu recueillir sur ce praticien des traits assez accentués et assez personnels.

Portal, le Gascon, connaissait son monde ; jeune encore, il s’était composé une tournure et une physionomie de vieillard : perruque, canne à pomme d’or et l’habit à grandes basques ; en hiver, la douillette, en marceline ; il portait ce costume avant la révolution de 89, sous le directoire, sous le consulat, sous l’empire et sous la restauration. Louis XVIII et les émigrés le retrouvèrent tel