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pides calculs pour savoir où placer leurs mises. À la roulette, les préférences pour les numéros ou les couleurs reposaient sur les raisonnements les plus inattendus : il en est qui ne jouaient que les voisins du cylindre.

Enfin, le joueur usé, ruiné et dégrisé de tout calcul, le joueur qui a tout essayé, tout subi, ne joue plus qu’avec la défiance et le tremblement nerveux de la vieillesse. J’en ai vu se boucher les oreilles pour ne pas entendre les arrêts du sort : ils éprouvaient moins de douleur à voir ce qui se décidait sur le tableau. Le vieux joueur désespéré se contente souvent de suivre le jeu d’un débutant, ou d’un joueur heureux ; il va même jusqu’à lui proposer de marier leurs masses.

Le joueur de profession tient à se persuader que les probabilités de gain sont des certitudes, et l’argot des joueurs de profession, entre eux, s’inspire de leur persévérante et inébranlable confiance.

Un joueur n’avoue jamais qu’il perd : il subit un écart.

Un joueur qui ne perd pas dit : Je suis rentré.

Un joueur qui a déjà perdu quelques masses dit : Je suis engagé.

Un joueur qui cherche à vous entraîner à faire les fonds d’une marche, vous propose de vous communiquer ses études pratiques et ses calculs immanquables sur les probabilités humaines. Le joueur dont la marche a dévoré les capitaux engagés ne dit pas qu’il a perdu : il a sauté.

Le joueur ne peut ni prononcer ni entendre prononcer le mot perdre : il en a horreur.