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joueur distrait, c’était le vertueux conseiller d’État de M. Thiers.

Les joueurs sont affectueux et causeurs, mais seulement avec d’autres joueurs. Ils se communiquent leurs joies, leurs fautes, leurs chagrins, leurs systèmes en plein succès ou abandonnés ; mais leurs conversations ne quittent jamais le terrain du jeu. On a, dans ces tripots, une foule d’amis dont on ne sait ni le nom, ni la demeure, ni la profession, ni le passé, ni la situation présente. Dans la rue, jamais un joueur ne salue un autre joueur.

Les hommes de service s’appelaient Messieurs de la chambre ; dans toutes les maisons, même à Frascati et au Cercle des Étrangers, il fallait en entrant remettre son chapeau ! On vous donnait partout un numéro, excepté à Frascati et au Cercle : là on vous reconnaissait, votre chapeau et vous. Quelques étrangers de grande distinction entraient dans les salons le chapeau à la main ; cette tolérance était un honneur rendu.

Messieurs de la chambre de toutes les maisons servaient gratuitement de la bière et des verres d’eau sucrée. À Frascati, on pouvait demander toute espèce de rafraîchissements ; au Cercle des Étrangers, par invitation personnelle, on dînait et on soupait.

Dans les maisons de second ordre, Messieurs de la chambre prêtaient sur gages. À Frascati et au Cercle, Messieurs de la chambre prêtaient, sans aucun reçu, des sommes considérables aux joueurs connus ; ces prêts d’argent, les joueurs les rétribuaient à leur gré.