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Pendant ces trois mois de mœurs déréglées, j’ai du moins assisté à toutes les folies du joueur ; j’ai rencontré dans ces maisons de jeu des artisans, des chefs de famille, des hommes jeunes, des vieillards, des militaires, des hommes de lettres, quelques médecins et plus d’un fonctionnaire public. Chaque maison avait ses habitués ! nous étions tous égaux devant la banque, et le joueur ruiné, aux vêtements en désordre et à la physionomie souffrante et amaigrie, était peut-être le plus respecté.

Sous le ministère de 1840, M. Thiers, président du conseil et qui était mon obligé, m’offrit plusieurs positions ; je parlai d’une place de maitre des requêtes. « Vous, maître des requêtes ! ce serait impossible, » dit M. Thiers. Les mœurs sévères du conseil d’État ne comprendraient pas qu’on fit maître des requêtes un ancien directeur de l’Opéra ; et M. Thiers me cita entre autres le nom d’un conseiller d’État dont le savoir et la vertu commandaient la plus grande réserve et le plus profond respect. — Je me contentai de sourire, et je laissai à M. Thiers ses illusions.

Cet ancien conseiller d’État si vertueux, dont je tairai le nom, avait été comme moi un des habitués les plus assidus du numéro 129 ; j’eus même, dans une séance de jeu, maille à partir avec lui.

Vingt francs sont placés par moi sur la rouge ; je gagne ; je suis payé. Je veux prendre mes quarante francs ; ils avaient disparu.

La taille finie, un joueur m’adresse la parole : « Tenez, monsieur, me dit-il, voici les quarante francs que vous avez réclamés, je les avais pris par erreur. » Ce