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d’anachorètes, d’aller au Théâtre-Français ; on y jouait la Fille d’honneur ; les premières représentations de cette comédie, en cinq actes et en vers, attiraient la foule : mademoiselle Mars jouait le rôle de la fille d’honneur avec un grand éclat et un grand talent ; mais il était huit heures et demie ; on fit observer que nous ne trouverions plus de places ; nous ne vîmes qu’une chose à faire : retourner à une maison de jeu, au numéro 129.

Notre ami G*** fut chargé de jouer tout ce qui restait dans la bourse commune, trente-cinq francs ; en cas de bénéfice, nous partagions.

Peu d’instants s’étaient écoulés que notre ami G*** avait gagné huit cents francs à la roulette ; la part de chacun de nous fut de deux cents francs. Notre ami G*** et Rousseau jouèrent hardiment leurs deux cents francs, et en quelques minutes, ils comptaient chacun de quinze cents à deux mille francs de bénéfice.

Rousseau était fort endetté au café du Roi et au café des Variétés ; nous l’arrachâmes, pour ainsi dire, du numéro 129, et par de gros à-compte, il se refit un nouveau crédit. Endetté, sans une obole et sans crédit le matin, il était riche et considéré le soir.

De pareils prodiges émeuvent et font volontiers perdre la tête. Le lendemain, au sortir de l’hôpital, je retourne m’attabler seul, dès midi, au numéro 129, pour y risquer les cent et quelques francs qui me restaient du partage de la veille ; je gagne une dizaine de louis ; c’était un rêve ! Le lendemain, dès midi, j’étais assis à la même place que la veille ; j’avais eu, bien entendu, la précaution de la faire retenir.