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entre celui qui avait rendu le service et celui qui en était resté reconnaissant.

« Il n’est pas possible, disait le gendarme, que je vous ramène à Nîmes et que je vous mette en prison ; ils vous couperont la tête. — Et moi, répondait M. Guizot père, je ne peux pas profiter de votre bonne volonté. Si je me sauvais, ils vous tueraient à ma place ! et je ne le veux pas. »

On parcourut à pied la distance de quelques lieues qui sépare Rémoulin de Nîmes. M. Guizot père ne se faisait point d’illusions sur le sort qui l’attendait ; il n’était troublé que par le souvenir de sa femme et de ses enfants ; le gendarme redoublait d’instances, de prières ; mais M. Guizot contraignit ce cœur généreux et reconnaissant à ne se préoccuper que de son devoir.

Le 9 avril 1794, la tête de M. Guizot père tombait sur l’échafaud.

Quelques jours avant l’exécution, son fils put pénétrer dans le cachot. L’enfant reçut, avec les derniers adieux de son père, de nobles conseils.

Madame Guizot, restée veuve, se retira en Suisse avec ses enfants, vivant dans la solitude et dans la pratique des devoirs les plus austères ; elle se dévoua exclusivement à leur éducation, et s’appliqua à former leur caractère, leur esprit et leur cœur,

M. Guizot, qui, comme écrivain et comme homme politique, devait occuper une si haute place dans notre littérature et dans les grandes affaires de la France, fut ainsi élevé à Genève, sous les yeux de sa mère, et ce n’est que lorsque son éducation est terminée qu’il se rend à Paris ; il n’avait pas encore vingt ans. Dès cet