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Votre conduite expose et excite sœur Cunégonde à pécher, en manquant de charité envers vous, et surtout envers moi : laissez-nous toutes deux, pauvres religieuses, nous occuper de notre salut avec bonheur et avec joie : la religion, aussi bien que le monde, a ses joies et ses bonheurs. J’ai entendu dire que vous vous distinguiez dans vos études : eh bien ! soyez tout à la science, comme nous tout entières à Dieu. Je vous parle comme, à un frère… (En ce moment, la sœur Marguerite allumait le dernier cierge autour du cercueil.) Éloignez-vous, j’ai deux prières à adresser au ciel : l’une pour ce mort que je ne connais pas, afin qu’il soit heureux dans l’autre vie ; l’autre pour vous que je crois connaître, afin que vous soyez heureux sur cette terre et que vous réussissiez dans toutes vos entreprises. »

Attendri, ému de tant d’esprit, de tant de grâce, de raison et de bonté de cœur, je répondis d’une voix presque entrecoupée de larmes : « Voilà, ma sœur, du bonheur pour toute ma vie ! Je me sens maintenant le courage de suivre tous vos conseils ; mais ne pensez pas que jamais je vous oublie. » Sœur Marguerite me pria de nouveau de m’éloigner : « Croyez à mes saintes prières, vous serez heureux ! »

Le lendemain, cinq heures du matin tardèrent bien à sonner. J’arrivai à l’hôpital, impatient de retrouver les regards de sœur Marguerite : mais pour la première fois elle était absente. Ce fut pour moi un coup bien douloureux et un triste pressentiment ; avant que j’eusse pris mon appareil, la sœur Cunégonde me fit connaître que je devais me rendre auprès de madame la supérieure. Plus de doute, j’avais été dénoncé. Je redoutais bien peu