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aux amateurs, aux gens du monde, et tous les lundis, une réunion nombreuse se pressait dans ses salons. Tous les artistes étrangers désiraient être présentés à Cherubini.

Pendant ces dernières années, on rencontrait souvent chez Cherubini, Hummcl, Liszt, Chopin, Moschelès, madame Grassini et mademoiselle Falcon, alors jeune et brillante de talent et de beauté ; Auber et Halévy, les deux élèves préférés du maître ; Meyerbeer et Rossini.

Cherubini reçut avec la plus grande cordialité Rossini, dont il reconnaissait le génie, et Rossini fut touché de l’accueil que lui fit ce maître sévère. Il y a loin du style de Cherubini à celui de Rossini, cependant ces deux hommes d’un génie si différent se comprenaient et s’appréciaient. On eût dit que leurs vieux souvenirs des anciennes écoles d’Italie étaient entre eux un lien sympathique ; ils étaient presque des amis de collège. On a vu Cherubini, peu prodigue de manifestations, applaudir le chef-d’œuvre de Guillaume Tell.

Cherubini approuvait quelquefois, blâmait plus souvent, et se taisait d’ordinaire. On venait d’exécuter au Conservatoire une de ses ouvertures ; on vint lui demander ce qu’il pensait de l’exécution : « Puisque je n’ai rien dit, répondit-il, c’est que je suis content. »

On entendit Rossini chanter chez Cherubini l’air du Barbier avec cette grâce inimitable, avec cette voix pleine de jeunesse et de vie, avec ce brio d’accompagnement qu’aucun orchestre ne pouvait égaler.

Lorsque la réunion n’était pas trop nombreuse, Cherubini permettait d’exécuter quelques-unes de ses com-