Page:Véron - Mémoires d’un bourgeois de Paris, tome 1.djvu/284

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

par la nécessité, vendre à des prix plus que médiocres de précieux tableaux et d’admirables esquisses.

» Bien que Géricault m’admît dans son intimité et dans sa famille, la différence d’âge et mon admiration pour son talent me plaçaient près de lui dans la situation d’un élève respectueux ; il avait travaillé chez le même maître que moi, et, au moment où je commençais, j’avais vu Géricault, déjà lancé et célèbre, venir faire à l’atelier quelques études. Il me permit de voir sa Méduse, pendant qu’il l’exécutait, dans un atelier bizarre, près des Ternes. L’impression que j’en reçus fut si vive, qu’en sortant de chez lui je revins toujours courant et comme un fou jusque dans la rue de la Planche, où je demeurais, au fond du faubourg Saint-Germain.

» Géricault vivait encore quand j’exposai mon premier tableau : il me parut en être frappé. Prudhon, alors mourant, en fit, à ce que j’appris, de grands éloges. M. Thiers rédigeait, dans ce temps-là, dans le Constitutionnel, des articles sur les expositions de peinture, et il fit, sur l’obscur débutant, un article par-dessus les toits. Il y avait été encouragé par Gérard, qui, lui aussi, voyait dans mon premier tableau beaucoup d’avenir. M. Thiers est le seul, placé pour être utile, qui m’ait tendu la main dans ma carrière. Après ce premier article, il en fit un second tout aussi pompeux au salon suivant, à l’occasion du Massacre de Scio. J’ignorais même à qui j’étais redevable de tant de bienveillance : Gérard m’invite à Auteuil, et je vois enfin cet ami inconnu, qui ne me parut pas du tout surpris de mon peu d’empressement à le rechercher après tout ce qu’il avait fait pour moi. M. Thiers put m’être encore plus