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je déclarai, aux applaudissements de tous, que je passerais le reste de la nuit auprès de la malade.

J’ai interrogé le cœur humain chez le médecin, chez le poëte, chez le compositeur, chez l’écrivain, chez l’artiste, chez la danseuse, comme chez l’homme politique, et je crains fort qu’il ne faille avoir la faiblesse d’aimer beaucoup la louange, pour savoir la mériter.

Une célébrité de médecin qui prend naissance dans une loge de portier monte souvent jusqu’au premier étage et rayonne même dans plus d’un arrondissement ; la pauvre concierge, en deux ou trois jours, recouvra une santé parfaite, et cette cure merveilleuse devint la nouvelle de tout le quartier. J’avais sauvé une portière : ma fortune était faite.

Très-peu de temps après, j’avais trois clients… de jour ; parmi ces clients je comptais une cliente, femme riche, d’un certain âge, mais malheureusement très-obèse, et il fallait la saigner. « On ne parle, monsieur, me dit-elle, que de votre habileté, que de votee savoir, et je quitte mon médecin pour recevoir les soins d’un homme déjà si célèbre. Toute ma société fera certainement comme moi, et vous aurez en peu de temps la plus brillante clientèle de Paris. » J’ai souvent entendu dire à mon ancien professeur et vieil ami M, Roux, le plus adroit chirurgien du monde, qu’une saignée à faire lui donnait toujours des inquiétudes, et ces inquiétudes-là commençaient fort à me prendre ; enfin, il fallait en venir au fait et s’emparer du bras de la malade, elle ne tarissait pas d’éloges, et il s’agissait de s’en montrer digne. Je plonge la lancette, et la veine n’est pas atteinte ; je replonge la lancette, et le sang ne coule pas. Oh ! alors la scène change :