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voilà ses moyens pour développer dans celui qui l’écoute toute la puissance des passions généreuses ou terribles.

» Cet artiste donne autant qu’il est possible à la tragédie française ce qu’à tort ou à raison les Allemands lui reprochent de n’avoir pas, l’originalité et le naturel. Il sait caractériser les mœurs étrangères dans les différents personnages qu’il représente, et nul acteur ne hasarde davantage de grands effets par des moyens simples. Il y a, dans sa manière de déclamer, Shakspeare et Racine artistement combinés. »

Otons maintenant à Talma son rouge, sa couronne ou son bandeau de roi ; mettons une robe de chambre sur les épaules d’Hamlet, d’Auguste, de Néron ou d’Oreste ; suivons Talma le rideau baissé, après ses désespoirs magnanimes, après ses fureurs. En rentrant dans sa loge, il la trouvait toujours encombrée d’une table de jeu et de plus d’un joueur : Kessner, Mira, le fils de Brunet, Doumerc, le parent d’un munitionnaire, M. Firmin et madame Firmin, et tant d’autres y jouaient d’assez grosses sommes à l’écarté, et les joueurs qui perdaient reprochaient durement à Talma de les gêner.

Sur la scène, Talma était rempli de tolérance, d’attention et de soins pour ses camarades ; dans les dénoûments tragiques, il n’a jamais donné un coup de poing, ni fait un noir à une héroïne. Il tuait proprement, et, pour l’illusion du public, il tuait mieux que personne.

Dans plus d’un jeu de scène, les artistes doivent s’entendre et s’entraider, et souvent, au contraire, ils se jouent de mauvais tours et se tendent des pièges. Ils