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Nous trouvons dans le livre de l’Allemagne, de madame de Staël, ce portrait de Talma tracé de main de maitre :

« Quand il paraît un homme de génie en France, dans quelque carrière que ce soit, il atteint presque toujours à un degré de perfection sans exemple ; car il réunit l’audace qui fait sortir de la route commune, au tact du bon goût qu’il importe tant de conserver lorsque l’originalité du talent n’en souffre pas. Il me semble donc que Talma peut être cité comme un modèle de hardiesse et de mesure, de naturel et de dignité. Il possède tous les secrets des arts divers ; ses attitudes rappellent les belles statues de l’antiquité : son vêtement, sans qu’il y pense, est drapé dans tous ses mouvements comme s’il avait eu le temps de l’arranger dans le plus parfait repos. L’expression de son visage, celle de son regard, doivent être l’étude de tous les peintres. Quelquefois il arrive les yeux à demi ouverts, et tout à coup le sentiment en fait jaillir des rayons de lumière qui semblent éclairer toute la scène.

» Le son de sa voix ébranle dès qu’il parle, avant que le sens même des paroles qu’il prononce ait excité l’émotion. Lorsque dans les tragédies il s’est trouvé par hasard quelques vers descriptifs, il a fait sentir les beautés de ce genre de poésie, comme si Pindare avait récité lui-même ses chants. D’autres ont besoin de temps pour émouvoir, et font bien d’en prendre ; mais il y a dans la voix de cet homme je ne sais quelle magie qui, dès les premiers accents, réveille toute la sympathie du cœur. Le charme de la musique, de la peinture, de la sculpture, de la poésie, et par-dessus tout du langage,