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répondit donc au prince : « Monseigneur, le plus récent et le meilleur traité sur le muguet est du docteur Véron, directeur de l’Opéra. »

Le quartier Latin reçut mes adieux, et je pris un logement modeste dans la Chaussée-d’Antin, rue Caumartin. Je comptais dans ce quartier quelques relations d’amitié. J’étais surtout lié avec le pharmacien Regnauld, l’inventeur de la pâte pectorale de Regnauld, qui, à cette époque, demeurait aussi rue Caumartin. J’avais, selon l’usage, mes heures de consultations ; mais je dois avouer en toute humilité que pas un client ne montait mon escalier.

On vint cependant un jour me chercher en toute hâte : un de mes amis, ancien élève en médecine, venait d’être pris gravement et ne voulait suivre que mes conseils. Il s’agissait d’une fluxion de poitrine. Je le saignai huit fois, et un quart d’heure après chaque saignée, tous les symptômes graves, la toux, les crachements de sang et surtout les étouffements, reparaissaient avec une nouvelle intensité. Je veillais chaque nuit auprès de mon malade, avec l’espoir de le sauver. Cependant, à la huitième saignée, mon expérience s’intimida. La crainte de voir mourir dans mes bras un ancien camarade dans toute la force de la jeunesse dépassait, je l’assure, la crainte de compromettre l’aurore de ma réputation. J’appelai en ce moment suprême deux confrères que je ne nommerai point ; car l’un prétendit que mon malade était un homme mort, et l’autre ne voulut jamais, à propos d’une neuvième saignée, dire ni oui ni non. Je me recueillis donc. J’avais affaire à un sujet vigoureux, et, oubliant toute la responsabilité qui pesait sur moi,